Dire que l'été a été calme dans le milieu informatique est une gageure. Plusieurs sociétés concurrentes ont en effet fermées leurs portes (et notamment Memup, en liquidation judiciaire), et d'autres, même si elles affichent des résultats en trompe-l’œil, devraient nous quitter prochainement. La faute a un marché qui tombe aussi vite qu'il est monté, et des concurrents qui n'ont pas su anticiper cela, enfermés dans leurs certitudes et celles de leurs analystes, et qui pensaient que des jours meilleurs étaient devant eux.

Car il faut être aveugle pour ne pas voir où l'on va. Cela fait 3 ans déjà que j'indique, chaque année dans mes bilans, que le marché de la tablette tactile est en train de tomber très lourdement et qu'il se dirige tout droit vers le même sort funeste des baladeurs MP3. Le panier moyen chute mois après mois, d'abord par une compétitivité accrue (ce qui est positif) mais ensuite par une baisse drastique de la qualité des produits vendus ce qui provoque alors une double-catastrophe :

  • D'une part, ce type de produit à bas prix se vend très bien, les volumes sont importants, mais ils entraînent avec eux de nombreux retours SAV aussi (j'ai des revendeurs qui m'indiquent avoir un retour SAV proche de 80% sur certains produits très bas de gamme proposés par la concurrence) ce qui donne une image désastreuse du marché.
  • D'autre part parce que, petit prix aidant, les sociétés qui vendent ces produits ne margent pas voire perdent de l'argent. Elles n'investissent donc pas, ont un support SAV extrêmement mauvais qui ajoute à la mauvaise image, et finalement coulent complètement.

Au-delà de cette tendance, il devient difficile pour une société qui propose des prix "justes" de vendre, puisque les clients sont persuadés que le prix classique, c'est un prix bas. Ils deviennent attentifs, les stocks s'accumulent alors, et l'on voit débouler pendant des soldes des tablettes vendues à perte à moins de 20€. N'en jetez plus ! La boucle est bouclée : le marché est détruit, et dans le même temps le public se rend compte de l'utilité de la machine. Elle est soit perçu comme un gadget (tout le monde n'a pas besoin de tablette, même si certains vous le font croire) soit comme un élément qui doublonne (un téléphone portable avec écran grand format, ou un ordinateur, selon l'utilisation). Le crash peut alors avoir lieu, et les tablettes disparaissent du paysage grand public aussi vite qu'elles en sont venues.

Car la tablette a eu une vie avant la folie que nous avons connu ces 4 dernières années. Il en existe depuis les années 1980. Windows 3.x avait même eu droit à une déclinaison de ce qu'on appelait à l'époque le "Pen Computing". Je travaille pour ma part sur des logiciels pour tablettes depuis 2001 et la première présentation du concept "TabletPC" de Microsoft, à l'époque sous Windows XP Tablet Edition.


Les premiers concepts de TabletPC, en 2000.

En 2009 encore, quand j'ai rendu disponible la première tablette à moins de 500€, la Pad, le marché était estimé à 300 000 unités par an... Mondialement ! L'année dernière, rien qu'en France, 20 millions de tablettes ont été vendues.


Notre Pad, en 2009. Le design est toujours produit pour le milieu industriel, jusqu'en 2016 au moins.

Nous nous sommes donc bien rendu compte, chez EVI, du phénomène qui renverrait les tablettes à côté des paquets de lessive. Nous avons bien vu que le produit devenait un produit d'appel, complètement inutile en tant que tel mais qui ouvrait une fenêtre sur des services (à monétiser ou non). Nous avons bien remarqué les premières soldes dantesques, et les premières sociétés qui ont baissé les bras, en 2013, alors qu'elles promettaient de nous faire la peau. Nous avons constaté des montées en puissance de sociétés plus jeunes que nous, qui sont allées bien plus haut que nous, mais qui n'ont apportées que des pertes à leurs fondateurs, avant de déposer le bilan et licencier tout leur personnel.


Les soldes 2014. Qui dit mieux ? Une tablette à 19€, un smartphone à 9€, le tout à côté d'un lave-linge (??!). Houston, nos concurrents ont un problème...

Nous n'avons pas fait cela. Au contraire, et malgré notre croissance soutenue, nous avons continuer à proposer de la qualité et à privilégier le SAV. Nous avons refusé des marchés, notamment dans des Conseils Généraux où, forts de leur volumes importants, ils nous demandaient de leur vendre une tablette à 60€, de qualité, pour leurs élèves, assorties de garanties 3 ans. C'est impossible. Quand vous demandez un prix bas, vous devez faire des concessions sur la qualité. A 60€, les concessions sont trop fortes et inadmissibles si vous voulez faire correctement votre travail de fabricant. C'est une vérité que certains n'ont pas voulu voir. Ils ont accepté ces marchés. Ils se sont félicités de la signature d'un contrat très important, en terme de volume. Ils étaient nos concurrents, et ils ne sont plus là. Avec eux, des dizaines de milliers de tablettes désormais sans garantie tomberont en panne dans les prochains mois. De l'argent public qui n'aura servi à rien puisque à trop vouloir économiser, certains vont perdre de l'argent.

Ultime assaut (un peu tardif) : un e-commerçant propose désormais une tablette correctement dotée à moins de 50€, sponsorisé par des affichages publicitaires. La fin d'un parcours pour la tablette grand public qui n'est désormais considérée que comme un vulgaire prospectus. Adieu tablette grand public, on t'aimait bien...

Ta grande sœur continuera à enchanter les professionnels, à permettre de recharger des voitures électriques ou à équiper des appareils de dialyses médicales. Elle servira de télécommande ultra-sophistiquée, contrôlera des équipements immotique ou aidera à diagnostiquer des ennuis mécaniques. Elle permettra de dessiner des plans, se mêlera à la biologie, fusionnera des éléments virtuels et réels grâce à la réalité augmentée. Elle aidera à réceptionner les colis, à valider les commandes dans un magasin ou contrôlera l'ensemble des organes vitaux d'une voiture, pendant son déplacement. La tablette reprendra alors la place qui est la sienne. Des utilités précises dans des marchés de niches.


Une station de recharge solaire, dont la partie tactile a été conçu par EVI.

Et pour le grand public ? La tablette est morte, vive la tablette. Elle reviendra, soyez-en sûr, plus mature que jamais. En tant qu'hybride tout d'abord, affublé de son clavier qu'elle n'aurait jamais du quitter, et sous la forme d'un ordinateur productif. Elle servira d'abreuvoir à connaissance : que ce soit pour les films ou les e-books, elle sera nécessairement présente, mais lorsque l'ensemble de la chaîne de distribution des services annexes sera structurée. L'accès à l'ensemble de vos magazines, pourquoi pas... Mais la version papier aura alors disparu, pour permettre la création d'un véritable nouveau média hebdomadaire, et pas juste un scan inergonomique au possible de ce que vous recevez tous les jours dans votre boite aux lettres.

Et EVI dans tout ça ? Tout ce que je vous ai cité ci-dessus, concernant nos projets B2B, sont déjà en cours et élaborées. C'est la majorité même de l'activité d'EVI. Après un bref passage où le grand public représentait la plus grande part de nos ventes, cette année sera celle de la bascule, où celui-ci s'est fortement désintéressé de ce type de produits. Nous revenons majoritairement vers une clientèle professionnelle. Le grand public reste client, n'en doutez pas : nos YziBook en témoignent. Mais il y a du changement de pragmatisme dans l'air.

Nous avons fortement constaté cette bascule à partir de Mars, à peu près en même temps qu'une croissance à taux zéro en France et un durcissement de la conjoncture. Nous avons ensuite vu les dégâts chez nos concurrents pendant la période des soldes où ils ont du se débarrasser de stocks très importants, à perte, sur des produits où ils ne margeaient déjà pas. J'ai pu constater que certains de nos concurrents réalisaient moins de 0.1% de marge nette. Ils sont donc à quasi-prix coûtant toute l'année. La moindre difficulté les envoie au fond du trou.



Depuis Mars, la situation sur les tablettes grand public est très tendue, elle est meilleure sur les smartphones mais soyons honnêtes : avec le festival de machines low-cost annoncées pour cette rentrée, ils sont les prochains sur la liste. Le marché va se retourner plus facilement sur les ordinateurs portables. Nous avions pressenti ce changement, nous l'avons accompagné avec les YziBook et nous allons continuer à insister avec de nouveaux produits au troisième trimestre. Nous ferons alors ce que nous savons faire de mieux : de la qualité, et des innovations.

Notre taux de croissance cette année sera probablement moins impressionnant que les années précédentes, mais soyez rassurés : EVI est bien là, toujours rentable, et toujours sur la bonne pente. A bon entendeur :)