Dans toute l'histoire du capitalisme, l'accession à tous d'une technologie se fait en plusieurs étapes : en premier lieu, ce sont les élites (ou les militaires) qui en disposent. Puis, la technologie commence à être adoptée par tous, même si le frein est encore d'ordre financier ou technique (tout le monde ne sait pas encore utilisé la technologie en question). Puis les freins financiers sautent, et la technologie devient accessible à tous. Pourtant, tous ne l'acquiert pas. Cette dernière étape n'est véritablement passé que lorsque la technologie, en plus d'être peu onéreuse, est accessible techniquement parlant. Cette étape entraine la disparition des "élites" qui étaient les premiers utilisateurs de ladite technologie, et elle entraine également la création d'un contingent d'hommes très spéciaux : les puristes.
Prenons l'automobile : les premiers à l'utiliser furent les militaires, et les hommes riches. Petit à petit, elle est devenue accessible financièrement parlant, notamment grâce au Taylorisme et à la Ford T. A ce moment-là, de nombreuses personnes s'en dotèrent. Comme les automobiles se multiplièrent sur les routes, des règles furent établies : limitation de vitesse et permis de conduire notamment. La recherche (les élites) se concentra sur la course automobile, recherche qui profita ensuite à tous. Enfin, l'automobile est devenue tellement accessible et tellement utilisée qu'aux États-Unis et au Japon, on commença à créer les voitures à boites automatiques et dernièrement les voitures qui font des créneaux toutes seules.

L'arrivée de la boite automatique a été le déclencheur d'un marché de masse dans un pays comme les USA : là-bas, elle est utilisé 80% du temps (l'Europe, culturellement, est restée sur les boites manuelles). Et c'est cette même boite auto (et l'arrivée des moteurs Diesel) qui a fait que des "puristes", décidés à garder un certain plaisir de conduire, refusèrent ce progrès (un nivellement par le bas selon eux - appelons cela la "noobisation") et restèrent sur des voitures beaucoup plus intéressantes mécaniquement parlant.

On a donc d'un côté une population de masse utilisant des voitures bourrées d'ABS, d'ESP, de TCS, d'airbags, de boites auto, de moteurs dont on ne peut plus rien faire (même pas une vidange) sans passer par le centre habilité, de pneus avec témoins d'usures automatisés, de systèmes de créneaux automatiques, et j'en passe.... et de l'autre, des voitures de puristes, de sport, souvent d'essence, en boite manuelle et où le bouton permettant de désactiver toutes les sécurités est indispensable.

On peut constater le même phénomène en informatique : dans les années 1950, la carte perforée était la reine. Les ingénieurs tapaient des lignes de codes à n'en plus finir. Des listings en sortaient. Des appendices reliés à des machines permettaient de les manipuler. Un insecte ("bug" en anglais) brulait sur les transistors, provoquant la panne de la machine, et préfigurant nos crises de nerfs contre nos chers ordinateurs. Puis arrivèrent les systèmes d'exploitations, le multitâche, le client/serveur, le PenComputing, les connectiques RS232, LPT, USB, les différents standards de stockage, ZIP, JAZ, bandes magnétiques, SD, miniSD, microSD... Stop, n'en jetez plus !

Le marché de masse en informatique ne se définit pas en système d'exploitation, longueur de bande passante, Téra-octets de stockage, ou tout autre terme qui donne des boutons. L'informatique en masse se résume en vidéos "je veux voir Mémé tomber dans l'escalier" (sacré Noël), en photos "Paul attrape le minou", en Web (tiens, comment va ma vie sociale sur mon réseau social ?") en recherche, en divertissement, etc. (J'ajouterai qu'il ne se définit même pas en marques, Facebook ou Google n'étant que des leaders à un instant T donné, qui sait si demain un autre leader dans leur domaine ne les supplantera pas ? - mais ceci est un autre débat)
Bref, l'informatique ne se résume pas en spécifications, mais en consultation d'information. Et c'est ce pari qu'Apple tente de résoudre avec l'iPad. Ce pari qui ne nous plait pas, nous informaticiens depuis le début, mais qui peut (et va) faire découvrir l'informatique à des gens qui ne savent même pas ce qu'est une souris (ou un mulot (c) Jacques Chirac) et qui ont compris quand ils avaient 18 mois que pointer quelque chose avec un doigt pouvait déclencher une action. Pas de multitâche ; trop compliqué à expliquer, il faut de toute façon multiplier les boutons et la machine va se remettre à ramer et planter... Il va falloir alors également expliquer un plantage. Pas de connectique ; les gens mettent toujours des cartes mémoires à l'envers, même si on y met 150 détrompeurs (vécu). Pas de menus abscons, pas plus d'un bouton (au moins, on sait où appuyer), pas de paramétrage fastidieux, pas de, pas de, pas de ...

Et dans 20 ans, les puristes - espèce en voie de disparition - continueront à utiliser une souris et un clavier. A jouer avec une manette de jeu (la Wii et toutes ses amies, de type Natal, goberont les 99% de marché restant). A téléphoner en composant un numéro (et peut-être même en appuyant sur des touches)... Et à passer des vitesses manuellement. Pendant que la majorité de la population utilisera des ordinateurs avec des infos-bulles omniprésentes, des assistants omnipotents, un petit chien qui court à travers l'écran et Christiane en fenêtre de chat qui "a fait de superbes affaires aux soldes Janvier-Décembre 2014, ohlàlà !"

La prochaine fois, nous parlerons du marché de masse des jeux vidéos, là où les viseurs sont automatisés dans les jeux de tirs (merci l'auto-aim) et où il est possible de rembobiner dans les jeux de course, afin d'être sûr de passer un virage correctement.